"Avorteuses"
Régulièrement, les assos
anti-IVG prennent pour cible le Planning Familial, accusé de prôner « le
tout-avortement » (comme le disait un de leur tract aimablement glissé
dans la boîte aux lettres de notre local dans l’ouest lyonnais). A croire que
nous guettons derrière la porte du Planning avec une sonde d’aspiration des
fois qu’une femme enceinte se présenterait.
Alors bien sûr − est-il
nécessaire de le préciser ? − le Planning Familial ne fait pas que des IVG : si on regarde notre
rapport d’activité pour 2012 (dans le Rhône), on constate que sur 8705
personnes reçues, 7 % avaient une demande d’interruption de grossesse. Comme
chaque année, les questions les plus traitées sont la contraception (44,6 %),
ainsi que le suivi gynéco et le dépistage des IST (21,6 %). Viennent ensuite dans
les demandes exprimées le thème de la grossesse (et oui, nous faisons aussi des suivis
de grossesse), les questions liées à la sexualité, aux problèmes relationnels,
à la violence, etc…
Ces quelques chiffres ne
visent pas à minimiser notre implication dans l’avortement (« Vous savez,
on fait avant tout de la prévention… »). Ils permettent de porter un regard
plus juste sur notre activité, car il n’y a pas que les anti-IVG qui ont une
image déformée du Planning Familial.
Mais puisqu’effectivement
nous nous occupons d’IVG, nous allons essayer de prendre le temps, à travers cet
article, d’expliquer ce que cela signifie concrètement.
Ecouter, informer, orienter
En 2012, lors des entretiens
réalisés au CPEF (Centre de Planification et d’Education Familiale) du Planning de Villeurbanne,
le thème de l’IVG a été abordé à 1384 reprises. Parfois il s’agit juste d’une
demande d’information sur la loi ou les méthodes, par exemple lors d’un test de
grossesse, parfois l’IVG est au cœur de l’entretien car la personne a décidé
d’interrompre sa grossesse et a besoin d’aide dans ses démarches. Ainsi, nous
avons reçu 620 femmes dans cette situation.
67 étaient mineures
360 avaient entre 18 et 24 ans
179 entre 25 et 39 ans
14 avaient 40 ans ou plus
Qu’est-ce qui se passe
durant ces entretiens ? Selon les besoins des personnes (certaines sont
déjà très informées, certaines l’ont déjà vécu, certaines ont besoin de parler
et d’autres non, les situations sociales et relationnelles sont très variées…),
nous proposons :
- Une
information sur les méthodes d’IVG, en partant de ce que la personne sait déjà,
de ses questions (notamment : douleurs, saignements, risques…)
- Une
information sur les droits : délais, prise en charge, confidentialité…
- Une
écoute, pour celles (et éventuellement ceux) qui éprouvent le besoin de parler : de leur
couple (ou pas), de leur désir d’enfant (ou pas), de leur histoire personnelle
et familiale, de leurs peurs, sentiment de culpabilité…
- Une
orientation sur les établissements pratiquant les IVG (avec info sur les
méthodes pratiquées, la possibilité ou non d’anesthésie générale…), les
médecins de villes conventionnés pour l’IVG.
- L’aide
aux démarches : prescription d’une échographie de datation, attestation de
1ère consultation, point sur les droits sécu, éventuellement aide à
la prise de rendez-vous… Concrètement, on peut par exemple aider une mineure à
trouver un moyen de justifier son absence, prendre contact − avec son accord −
avec l’infirmière scolaire, etc…
Pour les mineures qui
souhaitent garder le secret comme l’autorise la loi depuis 2001, nous avons mis
en place depuis l’année dernière un dispositif spécifique : comme
certaines ne trouvent pas toujours de majeur-e pour les accompagner dans leur
démarche (condition imposée par la loi), nous avons créé un réseau de militantes de notre association qui
peuvent se rendre disponibles si nécessaire.
Parmi les demandes d’IVG
enregistrées en 2012, 51 concernaient ce qu’on appelle des « délais dépassés » : les personnes
ne peuvent plus accéder à l’IVG en France parce que leur grossesse a dépassé le
délai légal de 14 SA (semaines d’aménorrhées). C’est une particularité de notre
association que d’informer sur les possibilités d’interrompre sa grossesse dans
une clinique à l’étranger. Nous mettons régulièrement à jour des informations
sur des cliniques espagnoles, néerlandaises, anglaises, ainsi que sur le coût
des voyages pour orienter les personnes à la recherche d’une solution.
L’information sur l’IVG se
fait aussi par téléphone : environ 20 % des appels reçus concernent cette
thématique, soit plus de 1000 appels par an.
Pour terminer cette
présentation de notre rôle d’information et d’accompagnement, on notera
également que, pour l’année 2012 :
78 femmes ont abordé lors
d’un entretien une IVG passée, que ce soit dans les suites immédiates ou
plusieurs années après.
Cette question est aussi
traitée lors des consultations gynécologiques (92 occurrences, hors IVG
pratiquée au Planning Familial).
Faire des IVG médicamenteuses
Le Planning Familial du
Rhône a été l’un des premiers centres en France à proposer des IVG par voie
médicamenteuse – et reste le seul des CPEF du Rhône à le faire. Depuis 2007 en
effet, nos médecins ont passé une convention avec un hôpital pour réaliser des
IVG jusqu’à 7 SA (semaines d’aménorrhées). Cette activité reste peu importante
(20 à 30 par an) pour différentes raisons (IVG « à domicile » encore
peu connue, absence de budget spécifique sur ce volet d’activité, des délais
d’attente de plus en plus importants pour nos rendez-vous en gynéco…), mais
nous pensons que l’offre d’IVG en CPEF doit être développée et nous avons fait
plusieurs interventions publiques pour présenter notre expérience.
Contribuer à améliorer l’offre de soins en matière d’IVG
Par sa pratique de terrain,
et le nombre de situations rencontrées, le Planning constitue un observatoire
privilégié pour repérer les difficultés rencontrées par les femmes et par les
professionnel-le-s. Notre travail consiste aussi à recenser les dysfonctionnements (délais
d’attente, absence de choix d’anesthésie, difficulté à joindre les services…),
à alerter les instances responsables, à discuter avec les équipes, et à
proposer des améliorations.
Dans ce sens, nous
participons à plusieurs groupes interinstitutionnels :
- Le
groupe « optimisation des relations entres CPEF et Centres d’IVG »
qui réunit des professionnel-le-s sous l’égide du Conseil Général du Rhône pour
mutualiser les pratiques, échanger nos informations pour une meilleure
orientation et prise en charge des femmes.
- Le
groupe IVG de la CRN (Commission Régionale de la Naissance), une instance qui,
sous la responsabilité de l’ARS (Agence Régionale de Santé), veille aux
conditions d’accès à l’IVG en Rhône-Alpes.
- La
Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie, où nous défendons les
droits des usager-e-s dans l’accès à la prévention et aux soins.
Lutter pour le respect du droit à l’IVG
Notre action comporte une
dimension plus directement politique sur la question du droit à l’IVG. C’est
ainsi que, localement, le Planning est présent (et souvent à l’initiative) dans
toutes les luttes qui concernent les remises en cause de l’IVG : les
combats récents concernent les politiques de restructuration menées dans
l’Hôpital public : fermeture du centre d’IVG de l’Hôtel-Dieu,
démantèlements des centres de Lyon sud et Croix-Rousse. Le Planning joue un
rôle moteur dans le Collectif IVG 69 qui regroupe associations féministes,
syndicats, organisations politiques. Concrètement, pour cette année il y a
eu : manif et rassemblements, stands d’info, signature de pétitions,
tracts, affiches (et collages), interventions lors de débats, construction
d’argumentaires, rencontre avec les instances décisionnelles (HCL, ARS), et
politiques (sensibilisation des élu-e-s)…
Nous organisons et animons également
des débats autour de la question de l’IVG, par exemple dans le cadre d’une
journée contre l’extrême-droite en 2012, ou cette année avec la projection du
film « Regarde, elle a les yeux grand ouverts ».
Au niveau régional, une
commission IVG du Planning Familial a été créée cette année, afin notamment de
construire un outil commun pour recueillir les informations sur les difficultés
d’accès observées en matière d’IVG.
Au niveau national, le
Planning 69 est particulièrement engagé sur cette thématique, puisque l’une de
nous fait partie de la « commission IVG » du Planning, chargée de
préparer les discussions et les actions au sein du mouvement, de coordonner nos
initiatives, de faire le lien avec les assos féministes nationales.
Former, informer
Nous avons développé depuis
plusieurs années des actions de formation, en direction notamment des acteurs
du travail social, de la santé, de l’éducation.
La question de l’IVG est
abordée :
- De
manière transversale dans les modules sur la sexualité des ados, sur
l’évolution des pratiques contraceptives,…
- De
manière spécifique quand nous formons des équipes de centre d’IVG.
Nous avons aussi une
pratique de co-formation avec les membres de
notre association qui souhaitent une sensibilisation autour de ces
questions : par exemple les personnes volontaires pour accompagner les
mineures en demande d’IVG ont bénéficié d’une session de formation sur la loi,
les méthodes, les démarches, la place de l’adulte accompagnant.
Et concernant notre rôle
d’information, on peut noter également :
- La
veille documentaire sur le thème de l’IVG et l’aide à la recherche documentaire
au sein de notre centre de documentation.
- La parution
régulière d’articles sur l’IVG (les luttes, l’évolution des lois…) dans notre
revue D’Ebats Féministes et sur le blog Super Féministe.
- Des
communiqués de presse ; conférences de presse, interventions dans les
médias quand l’actualité l’impose.
Voili, voilo. Alors cette
longue liste d’actions n’est en réalité pas tout-à-fait complète, puisqu’elle
se concentre sur les activités les plus directement en lien avec l’IVG :
il faudrait y rajouter tout le travail d’information sur les droits et les
débats que nous proposons lors des séances d’éducation à la sexualité, les
stands de réduction des risques où la question de l’IVG est souvent abordée,
les diverses actions publiques où nous amenons cette thématique, etc…
En tout
cas cette présentation montre bien la spécificité du Planning Familial sur le
champ de l’IVG (mais pas seulement d’ailleurs) : une action politique ancrée
dans une pratique de terrain. Notre rôle dans l’accompagnement des personnes en
démarches d’IVG nous met en position de déceler les dysfonctionnements et
d’interpeller les instances responsables, nos partenaires politiques ou les
médias quand c’est nécessaire.
L’IVG est une expérience
partagée par beaucoup de femmes (en France 40 % des femmes ont ou auront avorté
au moins une fois au cours de leur vie), cela fait partie de la vie de beaucoup
de personnes (les hommes aussi sont concernés), et pourtant un énorme tabou
persiste autour de cette question. C’est un droit conquis de haute lutte,
aujourd’hui inscrit dans la loi, mais régulièrement remis en cause, que ce soit
par des groupes opposés à l’avortement, ou par le manque de places dans les
structures hospitalières.
Alors oui, nous nous occupons d’avortement, nous aidons les
femmes à avorter, et pour nous il s’agit d’un travail utile et passionnant,
nous essayons de le faire le mieux possible, dans le respect des
histoires/croyances/émotions des personnes.
Et oui, nous nous battons pour le droit à l’IVG.
… et nous en sommes fièr-e-s !
Antoinette FonK