D’autres Fêtes des Mères sont possibles !




Non il n’y a pas de fatalité en ce jour officiel de Fête des mères…

D’accord il y a la pression sociale : les pubs confites de mièvreries et d’idées-cadeaux bien sexuées, les gamins de retour de l’école qui viennent relayer l’odieux message de propagande familialiste jusqu’au cœur de nos foyers, les mères (certaines des nôtres en tout cas) qui peut-être feront la gueule si on oublie de les appeler… (Ceci dit, Super Féministe n’a pas l’âme d’une commissaire politique ni d’une grande inquisitrice féministe, alors si vous avez versé une larme au poème de votre petite fille, ou fait un bisou à votre maman, elle ne vous jettera pas la pierre, parce qu’on fait bien ce qu’on peut avec nos contradictions dans ce monde patriarcal !)

D’accord aussi, entre deux résultats sportifs et quelques marronniers sur la météo, les vide-greniers, et la rose offerte à toutes les mamans par la mairie, on va de nouveau entendre parler de la mobilisation des opposants au mariage pour tou-te-s. Ils/elles s’emparent du symbole de la Fête des Mères : on leur laisse bien volontiers ! Précisons que toutes les mères ne méritent pas cet hommage, selon les tenants du papa-maman : il faut avoir procréé avec un-homme-un-vrai, et respecter une stricte division des tâches parentales, car quoi de pire que l’indifférenciation des genres ?!


Et pourtant, Super Féministe dans sa célèbre rubrique Féministosaure a décidé de vous montrer qu’on peut faire bien autre chose de cette journée dédiée aux mômans. C’est parti pour un petit tour dans les années 70, au temps du MLF, pour quelques exemples de détournements de la Fête des Mères.
Pour cela, nous avons interviewé Christiane, aujourd’hui militante au Planning Familial 69 (c’est bien les assos intergénérationnelles !), et aussi à FIL et Filactions, qui fut membre à Lyon du Cercle Flora Tristan du MLF. Un peu d’histoire locale à partir de souvenirs, de documents précieusement conservés, et de photos de manifs.


Comment s’est créé votre groupe à Lyon ?

Dans l’après-68, il y avait plein de groupes, partout, sur tout. D’abord j’étais dans un groupe mixte sur le quartier des Brotteaux, et puis avec les débuts du MLF, on a eu envie de plus s’intéresser à « la condition des femmes » et on a créé un Comité MLF du 6ème arrondissement. On allait aux réunions du Mouvement, mais c’était la foire d’empoigne, ça s’engueulait beaucoup… Pour nous le mouvement réagissait beaucoup à l’actualité, mais on pensait qu’il fallait plus s’organiser, définir un programme, faire plus de choses dans les quartiers. Du coup on a proposé de monter le cercle Flora Tristan au sein du MLF en 1973, avec d’abord un local à St Georges, et après on s’est installées à la Croix-Rousse.

Quelles étaient vos revendications ?

Pour nous, ce qui était central dans les inégalités entre hommes et femmes, c’était l’exploitation du travail des femmes au sein du foyer. Une exploitation qui servait aussi les intérêts des patrons. Tout partait de là. C’était des analyses inspirées du marxisme, on était plus ou moins proches des maos à l’époque, sans appartenir à des organisations politiques. Alors beaucoup de nos actions se centraient sur la « femme ménagère », le mariage comme agression permanente, contre le « devoir conjugal », contre les « brutalités viriles »… Une de nos revendications, c’était de reconnaître le travail domestique comme un vrai travail, en attribuant à la femme au foyer la moitié du salaire de son mari, en demandant son accès personnel (et non comme ayant-droit) à la Sécurité Sociale, une « retraite de ménagère », des temps de repos, le développement des crèches… Ca n’a pas toujours été bien compris, certaines disaient qu’on voulait renvoyer les femmes au foyer, mais c’était pas du tout ça !

Concrètement, on faisait de la propagande à travers pleins de moyens différents : des réunions publiques, des bulletins, des tracts… On a créé nos propres affiches en sérigraphie, et des autocollants, on faisait des collages, on tenait des stands dans les fêtes militantes, on allait discuter sur les marchés, et même faire du porte-à-porte…

Et vous organisiez aussi des Fêtes des Mères un peu particulières ...
Je crois que c’était dans l’air du temps, on n’était pas les seules à faire ça. La 1ère qu’on a organisée en 1974, on avait trouvé le texte de John Stuart Mill contre l’inégalité créée par le mariage. On a décidé de s’adresser aux hommes : plutôt qu’un cadeau, engagez-vous donc à respecter cet appel… C’était sous forme de pétition.


En 1975, c’est le défilé de voitures, avec des banderoles du MLF, des affiches qui disaient « avortement = droit des femmes à arracher aux hommes ».


Vous étiez dans les luttes pour l’avortement ?

On demandait l’avortement et la contraception libres et gratuits, et on a participé aux luttes locales comme la 1ère manif pour l’avortement en 1973, mais ce thème n’était pas central dans notre action au sein du cercle Flora Tristan. On a dénoncé les insuffisances de la loi Veil, d’ailleurs nous on disait « pourquoi une loi ? On n’en a pas besoin pour l’opération de l’appendicite ! »

Mais tu as participé à des avortements clandestins…

C’est vrai qu’il y en a eu quelques-uns chez moi, mais ce n’était pas dans un cadre militant. C’était ce que faisaient beaucoup de femmes, pour répondre à des situations, rendre service à une copine… On avait le contact d’un médecin militant, on passait voir sa mère qui tenait un bistrot et elle nous mettait en lien… J’ai gardé la grosse casserole que j’avais achetée pour faire bouillir la sonde.

Et les photos des femmes-sandwichs ?





Là, c’est pour la Fête des Mères de 1976, on défile Rue de la République en distribuant des tracts. Le slogan qu’on porte, c’est « A bas la fête des pondeuses, Vive la fête des femmes ».
On avait pas mal de types d’actions. Par exemple on a travaillé avec le Groupe d’Action Judiciaire, des gens qui voulaient faire évoluer la Justice en France, et on a fait des réunions publiques pour informer les femmes de leurs droits : droit de conserver son nom, d’ouvrir un compte en banque ou de travailler sans l’autorisation du mari… En 1975, on a fait un tract « Femmes mariées, Femmes à battre » : on revendiquait un refuge pour les femmes battues, géré par les femmes elles-mêmes, et on demandait aussi « le divorce par consentement féminin ».

C’était une sorte de discrimination positive ?

Et bien oui ! C’était avant la loi qui autorise le divorce « à l’amiable », et on disait que puisqu’on est dans un système inégalitaire, il faut donner l’avantage aux femmes dans les procédures de divorce pour « rattraper » l’inégalité créée par le mariage.

Quels étaient vos liens avec le reste du Mouvement ?

On allait aux réunions, on proposait des actions, et on participait à certaines luttes. Le Mouvement défendait la spontanéité et nous voyait parfois d’un mauvais œil parce qu’on voulait plus d’organisation… Mais en même temps on était respectées, je pense, à cause tout le boulot qu’on faisait. On a toujours tenu à signer Cercle Flora Tristan du MLF.


Et pour conclure cet entretien, quelques extraits de tracts, et une carte sérigraphiée...

Femmes refusez de n’être que des moitiés, Soyez majeures !

Vous les femmes, jeunes filles, ménagères, travailleuses, grand-mères, faîtes comme nous, sortez de votre cuisine pour faire le ménage en grand dans cette société d’hommes.

Il faut abattre ce système d’oppression de la femme par l’homme, le patriarcat. Cette lutte d’émancipation ne peut être l’œuvre que des femmes elles-mêmes, il n’y a qu’une solution : l’organisation massive et autonome dans le MLF.





A lire si vous voulez mieux connaître l’histoire du MLF à Lyon : CLEF (Centre Lyonnais d’Etudes Féministes), Chronique d’une passion. Le Mouvement de Libération des Femmes à Lyon, L’Harmattan, 1989.


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