Notre corps, nous-mêmes



















Notre rubrique Féministosaure ne pouvait pas faire l’impasse sur ce livre mythique publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1971.

Pourquoi cet ouvrage signé par le « Collectif de Boston pour la Santé des Femmes » est-il un « classique » (en tout cas selon moi) du mouvement féministe ? D’abord par toute l’histoire de sa réalisation, une démarche typique des pratiques militantes du Mouvement des femmes : à partir de 1969, des femmes de Boston se réunissent pour discuter entre elles, faisant le constat de « leur ignorance vis-à-vis de leur propre corps et leur expérience négative de la médecine ». Elles font des recherches pour répondre aux questions qu’elles se posent, puis elles décident de partager ce savoir en créant un cycle de « cours », « partout où il est possible de rassembler des femmes ». Cette pratique de diffusion de connaissances s’accompagne de débats entre femmes, d’échanges autour du corps, de la sexualité, la médecine. D’abord simples polycopies passées de main en main, ces textes sont ensuite édités sous la forme d’un ouvrage collectif, ce qui permet une diffusion à l’échelle de tout le pays.
En France, c’est aussi un petit groupe de femmes qui se met à traduire et à adapter l’ouvrage, finalement publié en 1977.


Alors oui, des femmes qui s’entre-regardaient le col de l’utérus, ça a existé, cette photo le prouve ! Ça a même l’air plutôt sympa, malgré mes gros a priori, moi qui n’ai pas connu cette époque héroïque. Mais au-delà du cliché, l’idée du « self-help », c’est tout simplement que « prendre en main sa santé, c’est aussi une façon de prendre en main sa vie ».



Mais concrètement, qu’est-ce qu’on trouve dans ce livre ?
  • Une approche critique de la médecine : elle vise son caractère normatif (sur la sexualité notamment), et la relation de pouvoir qui est instaurée entre médecin et patient-e. Cette critique ne vire pas au discours a-scientifique, mystico-écolo ou autre fantaisie ; il s’agit plutôt d’une réappropriation des savoirs, qui ne passe pas sous silence les débats en cours dans les milieux scientifiques ou médicaux, et qui intègre les dimensions sociales, culturelles, subjectives du rapport au corps et à la santé. Surtout, est revendiqué fortement - et de manière très novatrice - le respect du choix de la personne.



  • Les infos sont présentées de manière claire, avec des schémas explicatifs, des photos, et elles s’accompagnent de commentaires, de témoignages personnels, donnant toute sa place à la diversité des expériences et des perceptions de chacune. La pluralité des voix qui se font entendre tout au long de l’ouvrage contribue au questionnement des normes dominantes, sans pour autant dicter de nouveaux comportements, sans injonction à un changement radical pour toutes, sans jugement.
  • Les thèmes abordés témoignent d’une approche globale de la santé. Le 1er chapitre pose le cadre : intitulé « prendre conscience de soi, évoluer », il évoque le « sexisme intériorisé » par chaque femme et postule le droit à s’écarter des modèles, à « redécouvrir sa colère ». Ensuite, après un chapitre sur le corps, suivent plusieurs parties qui vont aborder la sexualité, le choix de vivre seule, en couple monogame ou non, en communauté, ainsi que la question du lesbianisme (« En France, on nous appelle des gouines »). Les autres thématiques sont la nutrition et le sport, le viol et l’autodéfense, les « maladies vénériennes », « choisir la maternité ? », grossesse et accouchement, la ménopause. L’ouvrage se termine par une réflexion plus globale sur le rapport à la santé et à la médecine, avec des propositions pour changer les choses.

Si une partie des apports scientifiques est aujourd’hui dépassée, l’ouvrage reste une source d’informations pertinente, et la richesse des témoignages en rend la lecture passionnante. On peut lire « Notre corps, nous-mêmes » pour découvrir cette époque d’effervescence et d’invention politique (les groupes de parole, le questionnement permanent, le lien privé/politique…). Mais au-delà de cet aspect historique, la réflexion développée sur le thème de la santé, de l’autonomie des femmes, du rapport au savoir est aujourd’hui encore tout-à-fait stimulante.

Dans notre action au Planning Familial, nous sommes un peu héritier-e-s de cette approche : partage des savoirs, valorisation de l’autonomie, respect du choix des individu-e-s, analyse genrée, solidarité et féminisme sont des objectifs et des valeurs toujours fortes pour l’association. Pour autant, avons-nous échappé à la place de « spécialistes » de la sexualité qui nous est donnée par la société ? Comment réduire l’asymétrie qui existe de fait entre les « usager-e-s » et les « professionnel-le-s » ? La dimension militante de notre action est-elle toujours perçue par les personnes qui viennent au Planning avant tout pour avoir une réponse à leur question ou leur problème ? Cet ouvrage peut nous aider à garder ces questionnements en tête et à poursuivre la réflexion.


Antoinette FonK

Allez, une dernière petite photo bien seventies en cadeau.


Photos et dessin extraites de l’ouvrage « Notre corps, nous-mêmes », édition française de 1977, chez Albin Michel, disponible à la doc du Planning 69.



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